Un bateau sur la Marne

Antoine de Saint-Exupéry évoque dans « Pilote de guerre » la commune d’Orconte, commune où il séjourna avec son escadron durant l’hiver 1939-1940.
« J’habitais une ferme bâtie en murs de torchis. La température nocturne y descendait assez bas pour transformer en glace l’eau de mon pot à eau rustique, et mon premier acte avant de m’habiller était évidemment d’allumer mon feu … ».
A terre ou à bord du bateau sur la Marne, à 60 ans d’intervalle, les gestes sont à peu près les mêmes ; et c’est aux environs d’Orconte que nous passons la limite entre le département de la Haute-Marne et de la Marne.
Nous tenions à remercier chaleureusement les maires de la Haute-Marne, sans qui notre parcours haut-marnais n’aurait eu ni la même ampleur ni le même succès :
le maire de Balesmes qui a accompagné notre traversée du tunnel et notre retour aux sources et qui nous a fait découvrir les délices et autres trésors de sa commune ; le maire de Foulain à qui nous avons offert un premier voyage en péniche ;
le maire de Chamarandes Choignes qui, avec ses collègues et ses habitants nous ont réservé un accueil des plus chaleureux ;
ainsi que les maires de Riaucourt, d’Eurville Bienville, de Mussey sur Marne, de Rachecourt-sur-Marne, Bayard, de Bologne qui nous ont apporté contacts et matériaux précieux et qui nous ont permis de recharger nos batteries au sens propre comme au sens figuré.

Le travail ayant fort bien avancé dans la Haute-Marne, nous sommes passés à la vitesse supérieure et avançons rapidement en direction de la Marne. Nous serons à Saint-Dizier ce soir, à Vitry-le-François mercredi soir, et à Châlons du jeudi 11 au samedi 13 mars.
Pour l’heure, les différentes escales de la journée :
FONTAINES-SUR-MARNE et les légendes qui entourent son menhir, BAYARD et sa première forge en 1513, BIENVILLE ET EURVILLE et les chasses de M. Marcellot dans le grand parc du château, CHAMOUILLEY qui a vu la naissance de Charles-Guillaume Etienne, GÜE où s’est installée la Société Meusienne de Construction Mécaniques, MARNAVAL son acérie et son usine de fer, SAINT-DIZIER, la forge, l’usine Miko, la boxe, le refuge des ducs de Guise, etc., etc., etc.

1 artiste : Gérard Rondeau
2 assistants : Pascale Brencklé et Geoffroy Velter
1 capitaine : Francis Dumelié
1 pilote : Olivier Megret
1 responsable de la régie : Arturo Garduno

Deux semaines que nous avons embarqué,
4 jours depuis notre retour aux sources,
une accumulation de portraits exponentielle,
134 écluses passées presque sans encombre,
environ 213 kilomètres de navigation,
1/4 de stère consumé pour le feu de bois,
un peu plus de 150 heures de portées d’appareil photo et de caméra,
des piles de livres entassées dans le salon,
un groupe électrogène qui tombe en panne une fois par jour,
10 plaques de chocolat noir consommées,
4 carnets moleskine griffonnés,
aucune personne dans l’eau de la Marne mais une qui tombe les pieds joints dans la cuve de la péniche,
2h de derushage quotidiennes,
une course contre la montre permanente qui nous insuffle les doses d’endorphine et d’énergie nécessaires.

Ces quelques indications numériques (et argentiques) pour vous informer que le projet est entre de bonnes mains et en bonne voie.

Deux comédiens de la Comédie de Reims ont sauté dans le bateau sur la Marne, alors que nos deux capitaines, Olivier Megret et Francis Dumelié étaient en pleine manœuvre à une écluse. Ils sont restés tout le week-end, et, sous un pont, au bord de la rivière, à l’abri du vent dans un magnifique lavoir,…, ils ont mis en voix des textes choisis par nos soins.
« Il y a des mots qui sont en pleine fleur, en pleine vie, des mots que le passé n’avait pas achevés, que les anciens n’ont pas connus aussi beaux, des mots qui sont les bijoux mystérieux d’une langue. Tel est le mot rivière… » Gaston Bachelard, « L’Eau et les Rêves »
« Ainsi, devant cette même rivière, aux bords de laquelle les dames du temps de Joinville avaient rêvé, qu’avait embellie la présence de Mme de Bouillon, où Mme de Julienne, promeneuse à Nogent-sur-Marne, avait passé devant Watteau, Marie-Antoinette fugitive, ses vêtements déchirés, faisait recoudre sa robe par une fille d’auberge ! » Edmond Pilon, « Sous l’égide de la Marne »
« A coup sûr, une eau l’habite, demeurée prisonnière dans une geôle de pierre depuis le début de la planète. Le désir naît d’apercevoir cette eau antérieure. »
Roger Caillois « Pierres »

La météo en Haute-Marne : 2 versions

« Dans la même journée, on expérimente les 4 saisons. » « Dans la Haute-Marne, il y a deux saisons : l’hiver et le 15 août. »

C’est par un soleil éclatant et un vent glacial que nous avons entamé le deuxième jour de descente de la Marne. Entre Rolampont et Chamarandes, malgré le froid, nous avons la joie de célébrer 4 baptêmes de péniche, réalisant au fil de l’eau, le rêve d’une badaude et de sa famille.
Rencontre fortuite, rencontre provoquées : deux passionnés d’aviation se sont retrouvés à bord, nous rappelant au passage la passion des Haut-Marnais pour l’aviation : dès 1852, les ballons et montgolfières aux ascensions incertaines et aux atterrissages périlleux, le premier atterrissage d’un avion à Langres en 1911, pendant la guerre de 14-18 les “beaux oiseaux de fer”, l’odyssée du dirigeable Zeppelin allemand L-49, les fêtes aériennes de l’entre-deux-guerres à Rolampont, …
Au fil de l’eau et non à vol d’oiseau, nous arrivons à Chamarandes à la tombée du jour.

Hier, après notre traversée du tunnel de Balesmes, nous avons mis pied à terre. Nous avons marché jusqu’aux sources de la Marne, auxquelles nous nous sommes abreuvés. Leur vertu miraculeuse n’a pas été prouvée, mais, par ce geste symbolique, nous avons marqué le début de la descente de la rivière. Notre bateau sur la Marne entame donc sa grande chevauchée fluviale jusqu’à Paris. Nous atteindrons Chaumont ce soir, saluant au passage, les éclusiers qui ont accompagné notre remontée.
« Dans la Marne, les écluses se succèdent à raison d’une par douze kilomètres environ. Dix à vingt minutes pour une éclusée. On a vite compris la manœuvre. Sauter à terre avant d’arriver. Courir sur les portes et tourner les vannes pendant que l’éclusier, méfiant, met le nez à sa porte, regarde ce qui se passe, bourre sa pipe, s’avance et se décide enfin à saisir une manivelle. De très braves gens, au surplus ! Ils sont reliés entre eux par téléphone (sauf dans certains canaux). Donnez deux francs de pourboire, et vous serez annoncé à l’écluse suivante, qui sera prête à votre arrivée. Ne donnez rien et vous serez annoncé de même. C’est-à-dire que, si vous êtes montant, l’écluse sera avalante et réciproquement. » Georges Simenon « A la découverte de la France »



Le bateau sur la Marne traversera aujourd’hui vers 14h le tunnel de Balesmes et fera demi-tour à Heuilley-Cotton, avant d’entamer la descente du canal, puis de la rivière. Demain, nous descendrons à terre pour nous rendre aux sources de la Marne.

Quelques données techniques :
« Le tunnel de Balesmes : ouvert à 5 k. S.-E de Langres, à 119m. 55 au(dessous du faîte du plateau de Langres et qui fait passer le canal de la vallée de la Marne (versant de l’Océan) dans la vallée de la Vingeanne, affluent de la Saône (versant de la méditerranée); il a une longueur de 4.820m. et présente une voûte cintre de 8m. d’ouverture. »

Des légendes fluviales :
« Les agents du service ont souvenir de ces plaisanciers anglais qui ont profité de la fraîcheur de cette immense cave pour déjeuner et faire la sieste, 4 heures après leur passage à l ‘écluse des BATAILLES, on ne les avait toujours pas vu à HEUILLEY….. »

« La moule tigrée, dite variabilis fait partie des 10 000 espèces invasives présentes en France. Elle est originaire de Russie, plus précisément du lac Baikal, et est entrée en Europe à la faveur des déplacements des bateaux. S’accumulant dans les tuyaux et les turbines, elle pose de graves problèmes aux centrales nucléaires, notamment dans la Meuse. » Ce sont deux poignées de ces moules tigrées que nous avons retirées du filtre à eau du moteur de la péniche, nous obligeant à nous arrêter, hier, dans le journée.

Nous sommes donc partis de Chaumont et arriverons à Langres en fin d’après-midi. Nous ne serons aux sources de la Marne que demain, après la traversée des 5km du tunnel de Balesmes.

Après une journée de navigation sans relâche, nous avons rattrapé un peu de notre retard, et sommes partis au petit jour en direction de Chaumont. Nous apercevrons les cinquante arches du  viaduc de chemin de fer en fin d’après-midi, et amarrerons au port de la Maladière.

Nous empruntons actuellement les virages en « S » du canal, découvrant à chaque « tournant », de nouveaux paysages, que les jeux d’ombres et de lumières transforment de minute en minute. Nous avons tous les jours à bord des personnes qui accompagnent notre remontée du canal, et qui la complètent par leurs témoignages et leurs rapports à la Marne.

Nous atteindrons Balesmes demain soir. Nous nous permettrons une halte au pied des hautes murailles de Langres avant d’emprunter le bief de partage qui passe au-dessous du village de Balesmes.

Nous naviguons entre les gouttes, les appareils photographiques et les caméras bien à l’abri sous nos imperméables.

Le bateau sur la Marne a démarré son voyage mardi 23 février de Mareuil-sur-Aÿ, et depuis, pas de calme avant la tempête, nous avons multiplié les riches rencontres et accumulé matériaux et documents précieux. En raison de l’avis de tempête, nous avons été contraints de freiner notre course et avons été bloqués le dimanche 28 février à Rachecourt-sur-Marne. A cela s’ajoute quelques soucis techniques : suite à une défaillance du groupe électrogène, nous subissons une panne d’électricité. Malgré ces incidents, nous gardons notre énergie et notre enthousiasme.

C’est  avec environ 3 jours de retard que nous continuons notre avancée, aujourd’hui, lundi 1^er mars, vers Balesmes. Nous nous arrêterons à Joinville vers midi, avec un grand soleil au zenith, et atteindrons Froncles ce soir, si les vents nous sont favorables.

Bon pied, bon œil, bon vent !