Un bateau sur la Marne

Monter sur le bateau sur la Marne, c’est sortir d’un temps « t » et d’un lieu « x » donnés.

Les secondes s‘écoulent plus lentement.
On oublie très naturellement montre et chronomètre.
La traversée des villages, des villes et des paysages du milieu de la rivière offre à l’œil une perspective nouvelle.
Après une nuit à bord de la péniche, mettez un pied à terre dès votre réveil et vous aurez une étrange sensation de vertige.
Vous êtes, pour un temps, déconnecté.

Plus concrètement, c’est notre connexion Internet qui nous a fait défaut pendant toute cette semaine, et nous n’avons pas été en mesure de tenir quotidiennement notre carnet de bord.

En attendant de le compléter, voici les dernières escales du voyage :

Samedi 27 mars :
Nogent-sur-Marne

Du dimanche 28 mars au lundi 29 mars :
Joinville et ses environs, et les demi-tours calculés au millimètre près par notre pilote

Mardi 30 mars :
Maisons-Alfort

Mercredi 31 mars :
Arrivée à Paris
Amarrage au Port Saint-Bernard

Nous avons aménagé le pont pour faire place aux chanteurs et musiciens qui ont transformé, le temps de quelques biefs, le bateau sur la Marne en guinguette sur la Marne, juste le temps d’appliquer à la lettre ce dicton :
« La vie, c’est comme une note impromptue de Schubert » ;
Et dans un autre registre d’entonner en boucle :

« Pour le départ de Paris,

Du France et du Normandie

Pour fêter la Saint-Vincent

Noël et le Jour de l’an

Il pétille le Champagne

Coule, coule en cascade,

Venez, venez, camarades,

Buvons et chantons… en chœur ».

Le 27 mai, les Allemands attaquent et percent jusqu’à Dormans. Du 21 juin au 15 juillet le front est stabilisé le long de la Marne…
La rivière a la mémoire douloureuse, et lorsqu’on la retire de son lit, les riverains, historiens, passionnés,…, la fouillent et la retournent. Certains d’entres-eux sont tombés sur des coupe-coupe sénégalais.

Au cours de la seconde bataille de la Marne, on comptait neuf bataillons de tirailleurs sénégalais, qui avaient en dotation cette arme en plus de l’équipement français. Selon certaines légendes, le coupe-coupe servait à couper les oreilles des Allemands : à chaque oreille rapportée, une prime donnée.

Mais n’en déplaise à Quentin Tarantino, ces légendes sont infondées. En effet, les tirailleurs sénégalais étaient envoyés sur des assauts violents mais brefs. S’ils prenaient le temps de couper les oreilles des Allemands, l’assaut se serait arrêté.
A la fin de la guerre, on a ramassé des quantités de coupe-coupes qui ont par la suite servi à la récolte de betteraves. C’est ainsi que cet outil est entré dans la collection agricole champenoise de la vallée de la Marne.

Sur les pas de Simenon et du commissaire Maigret…

« Des faits le plus minutieusement reconstitués, il ne se dégageait rien, sinon que la découverte des deux charretiers de Dizy était pour ainsi dire impossible.

Le dimanche –c’était le 4 avril -, la pluie s’était mise à tomber à verse dès trois heures de l’après-midi.

A ce moment, il y avait dans le port, au-dessus de l’écluse 14, qui fait la jonction entre la Marne et le canal latéral, deux péniches à moteurs avalantes, un bateau en déchargement et une vidange.

Un peu avant sept heures, alors que commençait le crépuscule, un bateau-citerne, l’Eco III, s’était annoncé et avait pénétré dans le sas (…) »

A deux jours de notre passage du canal à la rivière Marne, notre course en Freyssinet a été freinée par les directives des VNF, voies navigables de France.

Horaires d’hiver doublés des élections, les feux de l’écluse étaient éteints.

Nous avons donc mis à profit cette halte imprévue en mettant pied à terre et sommes allés à la rencontre des footballeurs de Tours-sur-Marne.

Malgré leur défaite contre Mareuil-sur-Aÿ, c’est avec entrain qu’ils ont lancé leurs « cris de guerre » sur le pont du bateau.

A charge de revanche !

Nous nous accordons une pause à Châlons jusqu’au samedi, le temps de s’arrêter aux bains municipaux et de revenir sur deux personnages illustres de Châlons : Pierre Dac et Cabu.

« J’ai vu le jour dans la nuit du 15 août de l’année de ma naissance à Châlons-sur-Marne (36 850 habitants approximativement, à 160 km de Paris exactement), non loin du camp militaire de Mourmelon-le-Grand.
Près de là, fut battu Attila, en 451, dans les champs catalauniques, par Aétius, Mérovée, et Théodorie réunis, poil au Président des Etats-Unis.
C’est dire de quoi et de qui j’ai tenir » ! »
Pierre Dac

La passerelle de Châlons, lieu de rencontres et de séduction.

« Si vous arrivez à accompagner la gente demoiselle au pied de la passerelle, c’est bien parti. Si vous passez la passerelle à son bras, votre relation est transformée. »
Cabu

Situé au point de convergence de trois voies navigables artificielles, le canal latéral à la Marne, le canal de la Marne au Rhin et le canal de la Marne à la Saône, Vitry-le-François est une ville de mariniers et de bateliers.

A bord, ce sont des familles de bateliers de plus de cinq générations qui nous ont raconté leur vie sur les fleuves et les rivières de France et d’ailleurs.

« Marinier cherche marinière », quand la fiction rencontre la réalité, ou comment rencontrer l’amour en faisant du stop sur les berges de la Marne.

L’arrivée sur le pont d’un couple de mariniers et de leurs deux enfants, leur bonheur évident et simple, leur regard confiant et lucide sur leur quotidien et leur avenir, ont été pour nous une réelle leçon de vie.

Antoine de Saint-Exupéry évoque dans « Pilote de guerre » la commune d’Orconte, commune où il séjourna avec son escadron durant l’hiver 1939-1940.
« J’habitais une ferme bâtie en murs de torchis. La température nocturne y descendait assez bas pour transformer en glace l’eau de mon pot à eau rustique, et mon premier acte avant de m’habiller était évidemment d’allumer mon feu … ».
A terre ou à bord du bateau sur la Marne, à 60 ans d’intervalle, les gestes sont à peu près les mêmes ; et c’est aux environs d’Orconte que nous passons la limite entre le département de la Haute-Marne et de la Marne.
Nous tenions à remercier chaleureusement les maires de la Haute-Marne, sans qui notre parcours haut-marnais n’aurait eu ni la même ampleur ni le même succès :
le maire de Balesmes qui a accompagné notre traversée du tunnel et notre retour aux sources et qui nous a fait découvrir les délices et autres trésors de sa commune ; le maire de Foulain à qui nous avons offert un premier voyage en péniche ;
le maire de Chamarandes Choignes qui, avec ses collègues et ses habitants nous ont réservé un accueil des plus chaleureux ;
ainsi que les maires de Riaucourt, d’Eurville Bienville, de Mussey sur Marne, de Rachecourt-sur-Marne, Bayard, de Bologne qui nous ont apporté contacts et matériaux précieux et qui nous ont permis de recharger nos batteries au sens propre comme au sens figuré.

Le travail ayant fort bien avancé dans la Haute-Marne, nous sommes passés à la vitesse supérieure et avançons rapidement en direction de la Marne. Nous serons à Saint-Dizier ce soir, à Vitry-le-François mercredi soir, et à Châlons du jeudi 11 au samedi 13 mars.
Pour l’heure, les différentes escales de la journée :
FONTAINES-SUR-MARNE et les légendes qui entourent son menhir, BAYARD et sa première forge en 1513, BIENVILLE ET EURVILLE et les chasses de M. Marcellot dans le grand parc du château, CHAMOUILLEY qui a vu la naissance de Charles-Guillaume Etienne, GÜE où s’est installée la Société Meusienne de Construction Mécaniques, MARNAVAL son acérie et son usine de fer, SAINT-DIZIER, la forge, l’usine Miko, la boxe, le refuge des ducs de Guise, etc., etc., etc.

1 artiste : Gérard Rondeau
2 assistants : Pascale Brencklé et Geoffroy Velter
1 capitaine : Francis Dumelié
1 pilote : Olivier Megret
1 responsable de la régie : Arturo Garduno

Deux semaines que nous avons embarqué,
4 jours depuis notre retour aux sources,
une accumulation de portraits exponentielle,
134 écluses passées presque sans encombre,
environ 213 kilomètres de navigation,
1/4 de stère consumé pour le feu de bois,
un peu plus de 150 heures de portées d’appareil photo et de caméra,
des piles de livres entassées dans le salon,
un groupe électrogène qui tombe en panne une fois par jour,
10 plaques de chocolat noir consommées,
4 carnets moleskine griffonnés,
aucune personne dans l’eau de la Marne mais une qui tombe les pieds joints dans la cuve de la péniche,
2h de derushage quotidiennes,
une course contre la montre permanente qui nous insuffle les doses d’endorphine et d’énergie nécessaires.

Ces quelques indications numériques (et argentiques) pour vous informer que le projet est entre de bonnes mains et en bonne voie.